La prudence de l’Église
Quelques précisions peuvent expliquer cette situation. D’abord, le frère André n’était pas appelé à être un personnage public pour sa congrégation. Il avait reçu ses obédiences et les respectait à la lettre :
« [la nomination du frère André comme gardien du sanctuaire en 1910] avait peu de conséquences, compte tenu de son rôle dans la communauté. […] il resta toujours le petit frère humble et fragile qui avait passé quarante années de sa vie comme portier, à répondre aux visiteurs, à entretenir les parterres, à faire des commissions et surtout à brosser d’interminables planchers de bois. Il n’avait rien d’un homme en situation d’autorité. 1».
Photo 30-9 : Ancien chemin menant les pèlerins vers la chapelle d’origine, vers 1910. On peut voir la statue de saint Joseph posée sur une niche de la façade.
Archives de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal
Ensuite, il y a eu dès les premières rumeurs une très grande prudence de l’Église montréalaise quant aux prétendues guérisons miraculeuses.
Il suffit d’évoquer les difficultés tant matérielles que financières que le frère André a dû affronter dès les débuts de la petite chapelle pour s’en convaincre : il a dû convaincre ses supérieurs, trouver lui-même l’argent et les matériaux, demander et se voir refuser les agrandissements pour la nef…2
Photo 123.25-X : Mgr Paul Bruchési, archevêque de Montréal de 1897 à 1939.
Archives de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal
Cette prudence finira par être propice au destin de l’Oratoire. Le 28 novembre 1910, une commission d’enquête mise sur pied par Mgr Bruchési tenait audience au Collège Notre-Dame.
Celle-ci devait « […] procéder à un examen sérieux des faits […] faire une enquête complète sur tout ce qui se passe à l’Oratoire Saint-Joseph et aussi sur ces faits extraordinaires qui y auraient lieu. » 3.
L’approbation de Mgr Bruchési donnera l’élan à une œuvre qui attire déjà des centaines de fidèles les dimanches et certains jours de fêtes. Mais pour autant la présence du frère André demeure discrète.
Une mort qui va au-delà du sanctuaire
Le saint frère André en promenade sur le flanc du Mont-Royal, date inconnue.
Archives de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal
La situation prend une tournure radicalement opposée suite au décès du frère André, le 6 janvier 1937. Si pendant presque trente ans (1910-1937) on peut compter quelques journaux rapportant des nouvelles de l’Oratoire au sujet des miracles qui s’y seraient produits, une quantité impressionnante de quotidiens font du décès du fondateur du sanctuaire leurs premières pages entre le 5 et le 14 janvier 1937.
Le Centre d’archives et de documentation Roland-Gauthier ne conserve pas tous ces journaux mais un « Répertoire des imprimés » nous donne une bonne idée de la portée internationale de la nouvelle. Dès le 5 janvier, des journaux de Chicago (Chicago Daily Tribune), de Philadelphie (Daily News), du Massachussetts (Fall River Herald News) et du Canada (Globe and Mail, Moose Jaw Times Herald, La Patrie et La Presse) couvrent l’événement.
À l’annonce de son décès le 6 janvier, on constate que les services de presse sont prêts : la mort du frère André en page couverture de plus de 275 journaux ! La grande majorité d’entre eux se trouvent aux États-Unis. Jusqu’au lendemain des funérailles officielles (12 janvier 1937) et même au-delà les quotidiens poursuivront leur couverture des événements : les foules, les guérisons, la dévotion…
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1.Père Bernard Lafrenière, c.s.c. (1997). Le frère André selon les témoins, Oratoire Saint-Joseph, p.72
2. Catta (1965). Le frère André, Fides, p.241-246
3. Summarium, t.1, 1955