Le temps et le passage des mains pieuses ont laissé leurs marques sur les pieds déjà meurtris du Christ en croix de la crypte. Après plus de cent ans de présence au sein du sanctuaire, le grand crucifix a été déposé avec soins dans les réserves du musée de l’Oratoire. Un nouveau corpus reçoit dorénavant les prières et les demandes des pèlerins venus se recueillir.
Un don pour la petite chapelle du frère André
En 1911, Joseph Picard offre un corpus en plâtre du réputé atelier du statuaire T. Carli. D’après une mention dans les Annales de Saint-Joseph de 1916, la croix de 12 pieds aurait été fabriquée par les charpentiers de l’Oratoire, afin d’être installée dans la petite chapelle de saint frère André.
Carte postale montrant l’intérieur de la chapelle avant janvier 1913 (Musée de l’Oratoire, 2016.55)
À l’été 1915, lors des travaux d’excavation en vue de la construction de la crypte, les multiples détonations mettent à l’épreuve la pièce qui perd son titulus et son bras droit. Il est réparé par le statuaire et le 16 décembre 1917, lors de la bénédiction de la crypte par Monseigneur Bruchési, le crucifix est placé à la gauche de l’autel. Il sera plus tard déplacé au côté de l’épître, soit à droite de l’autel.
Femmes devant le crucifix de la crypte (Centre d’archives et de documentation Roland-Gauthier, 50-5)
Conservation
À portée de main des fidèles depuis plus de cent ans, les effets du temps se font remarquer. Tranquillement, la peinture disparait et le plâtre s’effrite à chaque passage des mains dévotes qui touchent les pieds du Christ.
Le plâtre nu est très poreux et hygroscopique, ce qui signifie que l’eau, la sueur et les huiles naturelles exécrées par la peau sont absorbées. Inévitablement, un contact répété occasionne une dégradation de la matière comme le montrent les photos ci-dessous.
Le crucifix dans les années 1980 (à gauche) et à la suite du décrochage de l’œuvre le 28 mars 2019. (Musée de l’Oratoire)
Une demande d’évaluation en restauration avait été faite dans le passé. En raison des coûts élevés et de la volonté de perpétuer la dévotion, la direction de l’Oratoire a choisi de remplacer le crucifix. De facture plus récente, un nouveau crucifix a été installé dans la crypte. Une couche protectrice a été appliquée sur le nouveau corpus afin de permettre aux visiteurs d’entrer en contact direct avec cette représentation de Jésus en croix. D’un artiste inconnu, la pièce provient de l’église Saint-François d’Assise de Québec fermée en 2012.
Photo du crucifix actuel dans la crypte
Dévotion populaire
À toute heure du jour, et même pendant les célébrations eucharistiques, les pèlerins s’avancent vers le crucifix. Les yeux levés ou la tête baissée, les visiteurs prennent le temps de se recueillir au pied du Christ en croix et d’y apposer une ou deux mains.
Cet exercice de piété est commun dans le sanctuaire et ne date pas d’hier. Un autre crucifix conservé au Musée de l’Oratoire, autrefois installé dans la petite chapelle du frère André dans les années 1950, présente lui aussi des marques d’usure. Sur la photo ci-dessous, on remarque une femme embrassant les pieds de ce corpus de taille plus modeste. Un geste plein de tendresse qui rappelle celui évoqué dans l’iconographie par Marie-Madeleine.
Photo dans la chapelle d’origine (Centre d’archives et de documentation Roland Gauthier, 39-24)
Au cours du 19e siècle, on observe un renouveau de la liturgie et un développement de la piété populaire qui sera accentué par le mouvement romantique. En mettant de l’avant les sentiments humains et religieux, on valorise la recherche et la compréhension de la dimension populaire, mais aussi cultuelle. Le Concile œcuménique Vatican II précise que « […] la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la participation à la seule liturgie […] ».i En fait, les manifestations extérieures de la foi permettent aux pèlerins de se rapprocher et de vivre leur foi au Seigneur. Selon le Directoire sur la piété populaire et la liturgie :
« La piété populaire se caractérise par une variété très riche d’expressions corporelles, de gestes et de symboles. On peut citer, par exemple, l’usage d’embrasser ou de toucher avec la main les images et les lieux saints, les reliques ou les objets sacrés; le fait d’entreprendre des pèlerinages ou d’organiser des processions, de parcourir des tronçons de route ou certains parcours « spéciaux » à pieds ou à genoux; la présentation d’offrandes, de cierges et d’ex-voto; le port d’habits particuliers; le fait de s’agenouiller et de se prosterner, de porter des médailles et des insignes… De telles expressions, qui se transmettent depuis des siècles de père en fils, constituent des moyens directs et simples destinés à manifester extérieurement les sentiments présents dans le cœur des fidèles, et aussi leur volonté de vivre d’une manière authentiquement chrétienne. Sans cette dimension d’intériorité, les gestes symboliques risquent de devenir des coutumes vides de sens et, dans le pire des cas, de dégénérer en superstition. »ii
En prenant la décision de remplacer le crucifix, l’Oratoire assure la pérennité de son patrimoine artistique, et fait en sorte que le sanctuaire demeure sensible à l’expression de foi de ses pèlerins.